Ce film que je revois maintenant (en 2014) me rappelle de bons souvenirs, d'abord cette bande d'étudiants qui sont devenus des amis : nous nous sommes revus régulièrement pendant des années, et je garde encore des contacts avec certains d'entre eux : la plupart ont travaillé dans le cinéma, ou la littérature, et conservé leurs convictions. C'était l'époque de Vincennes où nous explorions de nouvelles voies dans l'enseignement d'une discipline jusqu'alors inconnue à l'Université et où nous nous battions non seulement contre le Ministère mais aussi contre les dirigeants de notre Université qui auraient été bien contents si nous nous étions contentés d'être un Département « papier-crayon ». Les films que nous avons réalisés ont tous été faits avec des moyens dérisoires. Mais ils ont coûté beaucoup de travail, beaucoup de temps (je crois que nous dépassions souvent la durée théorique de l'année universitaire), des déplacements nombreux, à nos frais. Non seulement Fleury-Mérogis, mais d'autres prisons, au contraire, très vieilles (à Lyon, Besançon...), d'autres interviews.
Mais de tout cela, il ne reste rien - sauf dans nos mémoires. Toute l'équipe était passionnée et chacun a donné beaucoup de son temps et de sa peine, trop peut-être. C'était le temps où Foucault publiait « Surveiller et Punir » et il y avait eu des cas dont on a beaucoup parlé : ce détenu qui s'était coupé les doigts (ou la main ?) pour protester contre l'injustice de son incarcération, il y avait eu surtout (pour moi) ce débat à la télévision avec le Ministre de la Justice de Giscard, c'était une table-ronde, on avait aussi invité pour cette occasion le Médecin de Fleury-Mérogis qui était, bien sûr, LA prison modèle de l'après-68. Je me souviens comme si c'était hier du visage du Ministre, du changement d'expression de son visage (c'était en direct) quand il a entendu ce médecin dire exactement le contraire de ce que lui-même venait d'affirmer, à savoir que les conditions de détention, à Fleury, n'étaient pas celles que décrivait le Ministre, mais qu'en réalité, dans cette prison-modèle, elles étaient très, très mauvaises. Après cela, nous l'avons contacté, interviewé, filmé... Les images sont peut-être dans un autre film, ou nous n'avons pas tourné ces images, ou bien il nous a demandé de les retirer : ma mémoire est défaillante. Mais les mêmes étudiants ont continué à travailler sur le même sujet (et avec moi) comme sur le cas du jeune Espagnol Puig Antig qui avait participé à des attaques de banque, à Barcelone, pour redistribuer l'argent aux pauvres de la ville, au nom d'une « redistribution équitable » des richesses. Qu'est devenu ce film ? Mystère... Je rends personnellement hommage à Patrice Besnard pour la sauvegarde des films récupérés qui marquent un moment important de l'histoire de notre Université.
Pour ce film sur Fleury, les étudiants ont tenu à ce que je lise le texte final, pour terminer le film, mais bien sûr, en le revoyant maintenant, je pense qu'il aurait dû se terminer sur les paroles de l'ex-détenu qui résume le point de vue de la Direction par la formule : « Tais-toi ou crève ! ». C'est cette parole qui a donné son titre au film.
Jean-Paul Aubert – juin 2014